Végétariens & Végans : nous sommes tous des animaux

Je mange de la viande et je bois du lait. Pourtant, j’aime les animaux. Est-ce moral ?

Billy et Géraldine

Jean-Louis est agriculteur dans le Vercors. Il a un fils, Billy, 10 ans, pré-ado banal à la vie monotone.

Géraldine est une vache. Chaque fois qu’il lui est permis, Géraldine gambade dans le pré, trainant son énorme bide et faisant sonner une clochette que son agriculteur de père lui a offert pour son anniversaire. Tous les jours, elle retrouve Ginette, sa meilleure amie et confidente, avec qui elle partage un petit carré d’herbe.

Les quelques touristes ou amis du village viennent parfois leur tâter la croupe. Géraldine est toujours un peu surprise, quand cela arrive, mais il lui plait de rencontrer ces animaux étranges et leurs coutumes tactiles.

Mangez-moi, mangez-moi, mangez-moi !

La complexification de notre société, sa capitalisation et surtout, la généralisation de la consommation de masse qui s’étend aujourd’hui aux pays émergents, a engendré un phénomène sur lequel il est vital de s’attarder pour des centaines de raisons: l’habitude de consommation.

Quand j’étais petit, je buvais du lait de vache, je voyais ma mère préparer des omelettes aux oeufs et le rayon viande était un passage obligé quand les stocks s’épuisaient à la maison. Personne ne m’a jamais expliqué pourquoi je mangeais de la viande. Etait-ce une nécessité ? Un privilège ? Un choix ?

Comprenez-moi bien: la réponse est complexe et des arguments profonds existent dans un sens comme dans l’autre. Il ne s’agit pas encore de trouver la réponse, mais de comprendre à quel point il est difficile de parvenir à se poser la question. La consommation de masse engendre des habitudes, les habitudes engendrent des raccourcis de pensée et les raccourcis de pensée obstruent notre perception de la réalité et notre faculté de jugement.

Je travaille de 8h à 18h, je m’occupe de mon logement, de ma voiture, de ma famille. J’entretiens ma vie sociale, je tente de me divertir. Parfois j’aide les plus démunis, je donne de mon temps pour servir une cause qui me correspond. J’essaye même de manger local et bio quand je ne suis pas à découvert, pour aider Jean-Louis, Billy et Géraldine, et lutter contre pesticides et pollution. Alors oui, je mange des steaks, et je vous emmerde. Est-ce que je suis un mauvais être humain ? Je ne pense pas, malgré tout le discours de culpabilisation que les végextrêmistes me balancent à la figure.

Lait de vache, vache de ferme, ferme ta g*****

Il faut dire que la communication, ce n’est historiquement pas le point fort des végétariens, dont le discours plein de bonnes intentions a encore du mal à passer.

J’ai rencontré peu d’entre eux, mais comme tout le monde, j’ai pu accumuler un certain nombre d’idées reçues sur la manière dont ils essayent de changer la société: Billy mange un steak à la cantine, il commet un meurtre. Billy monte des blancs en neige, il égorge un poussin. Billy met des Chocapic dans son lait, il exploite un être vivant et renforce le capitalisme. D’un seul coup, Billy devient la synthèse des malheurs du monde, ayant tué à lui seul plus de vaches que le pire des serial killers.

La culpabilisation ne fonctionne pas, parce que, comme je l’évoquais plus haut, la société actuelle et notre mode de consommation n’ont pas une seule fois permis à Billy de se dire: “Tiens, pourquoi dois-je manger ce steak ?”. Certains objecteront que le discours de culpabilisation permet justement de pousser les carnivores à se remettre en question. Dans quel sens la roue doit-elle tourner ? Faut-il culpabiliser Billy pour qu’il change la société, ou changer la société pour que Billy puisse évoluer ?

Comme souvent, la réponse est un peu partout à la fois. Le discours des végextrêmistes, même s’il est très largement exagéré, critiquable et tourné en dérision, permet au moins de soulever des questions que peu de gens se poseraient dans d’autres circonstances. D’un autre côté, les alternatives concrètes qui apparaissent (produits sans origine animale, associations de protection, etc.), même si elles sont limitées et méconnues du grand public, fournissent un support de réflexion et d’action à celles et ceux qui ont envie de changer.

Comme souvent là encore, il ne faut pas confondre le fond et la forme. Ce n’est pas parce que quelqu’un utilise des méthodes qui vous semblent inadaptées, qu’il crie trop fort, qu’il utilise des moyens contestables ou autre chose, que son discours est forcément mauvais, sans fondement ou à rejeter. Faire l’effort intellectuel de remettre en cause un discours, que vous soyez prédisposément pour ou contre, vous rapproche déjà un peu plus de la vérité. Ni le carnivore ni le végétarien ne détiennent la vérité, mais à eux deux, ils peuvent peut-être construire l’avenir.

Papa, maman, j’aime le beauf

“Bravo le veau !” ou encore “Les produits laitiers sont nos amis pour la vie !”
Qui n’a jamais entendu ces slogans ? Outre les habitudes de consommation, la consommation de masse et la difficulté à remettre en question nos modes de consommation, d’autres aspects de notre société rendent la problématique végétarienne complexe à gérer: le mode de production et l’économie dominante.

Voilà 10 000 ans que l’être humain élève des bovins et opère une prospérité forcée de ces espèces qui nous nourrissent, autant dire que nous avons eu le temps d’analyser chaque recoin de leur anatomie pour confectionner les meilleurs plats de viande. Mais de l’élevage à l’emballage en passant par l’abattoir et la production d’engrais, des millions de personnes servent aujourd’hui la communauté humaine en tenant un rôle dans cette chaîne qui amène le steak jusque dans notre assiette.

Limiter la question de la viande à la consommation serait renier une longue histoire qui nous a conduit jusqu’aux modes de production actuels. Vouloir ne plus manger de viande ou ne plus boire de lait, c’est perdre un savoir-faire millénaire et surtout expliquer à ces millions de personnes qu’elles feraient mieux de se reconvertir parce que leurs emplois, leurs compétences et leurs apports à la société sont devenus immoraux, non désirables et profondément mauvais. Elles aussi se retrouvent à devoir supporter un discours de culpabilisation, et à être accusés de tous les maux simplement parce qu’ils ont mis des oeufs en boite ou élevé des vaches à l’air libre.

Tout est dans le regard

La plupart d’entre nous ont déjà vu un reportage en immersion, une caméra planquée qui filme l’insoutenable quotidien des abattoirs de masse. Le regard de cette vache, qui suit ses congénères dans une file d’attente de l’horreur, attendant patiemment son tour. L’anthropomorphisation de l’animal. Cet être vit: il a des yeux, un nez, une bouche, une famille, une maison. Il respire de l’air. Il pense. Quelle différence y a-t-il avec nous ? Le couloir de la mort dans les abattoirs nous rappelle cette période où des hommes et des femmes étaient conduits en troupeaux dans des camps pour y trouver la mort. Et encore, nous ne mangions pas leurs cadavres.

Nous nous souvenons alors du moment où le reportage faisait un arrêt sur image, et où nous croisions le regard de cet être vivant condamné à la mort, ses yeux reflétant notre culpabilité et celle de toute notre espèce.

Cet anthropomorphisme de la souffrance est souvent utilisé comme bouclier pour dénoncer l’altération de notre jugement: ce n’est pas parce que la souffrance animale existe qu’il faut la considérer comme égale à une souffrance humaine. L’animal n’est qu’un animal, ne lui prêtons pas une intelligence et une conscience supérieure à son état d’animal inférieur à l’homme.

Alors oui, le traitement réservé aux animaux est horrible. Oui, l’opacité de la chaine menant les animaux de leur naissance à leur mort cache sans doute bien plus de cruauté et de maltraitance que nous ne l’imaginons, le tout dicté par un capitalisme fou et une course au rendement destinée à nourrir ceux qui n’en n’ont pas besoin.

Mais il n’est pas besoin d’anthropomorphiser l’horreur pour la constater. Une vache n’est pas un être humain, et notre perception de la souffrance animale est très certainement altérée par notre tendance générale à l’empathie et à la transposition de ce que nous voyons vers ce que nous connaissons.

La réflexion n’est ni dans l’excès d’empathie, ni dans le déni de l’existence des formes de vie qui nous seraient inférieures.

Nous savons que l’être humain est un animal, que nous avons encore bien du mal à comprendre ce qui nous caractérise. L’intelligence ? La conscience ? L’âme ? Que savons-nous vraiment de tout cela, et plus encore, que savons-nous vraiment de la vraie nature des animaux que nous massacrons ? Est-ce moralement acceptable ? L’être humain peut-il disposer de la vie d’autant d’animaux, d’autres êtres vivants, au point d’en devenir maître absolu de leur raison d’être et de leur destinée, de leur naissance à leur meurtre ?

L’amour est dans le pré

La question de la maîtrise du destin des animaux par l’homme est difficile et totalement philosophique. Si une réponse existait, dans un sens comme dans l’autre, nous l’aurions depuis longtemps. Car à notre manque de connaissance sur l’évolution de la vie et de la conscience animale s’ajoutent des variations infinies du sens de la moralité au sein de notre propre espèce. Partant du même constat que l’animal souffre et est partiellement conscient, certains seront choqués de les utiliser comme des objets là où d’autres n’y verront que l’application de la loi du plus fort.

Alors il faut penser autrement. Que fait-on lorsqu’une question est insoluble, lorsqu’un mur se dresse devant nous sans que nous soyons certains de pouvoir le franchir ? On passe à côté. On contourne. On cherche des alternatives.

L’homme a cette particularité qu’il est capable de comprendre son environnement, de s’adapter et de chercher sans cesse à dépasser ses limites. Si la consommation de viande et d’autres produits animaux pose une question morale et philosophique à laquelle nous ne savons pas répondre, le plus simple n’est-il pas encore de consommer d’autres types de produits ?

Billy objectera sans doute quelque chose comme “A ce compte là, comment savoir si une pomme n’est pas consciente ? Peut-être que chaque fois que tu manges une pomme, tu commets un meurtre !”. Billy a raison. Si nous ne connaissons pas notre propre conscience ni celle d’un animal, quid de la conscience d’une pomme, d’une voiture ou d’un verre à pied ? L’être humain est aussi imparfait que la connaissance qu’il a du monde dans lequel il vit, et probablement plus encore. Ne pas vouloir évoluer parce que nos choix seront toujours critiquables ne nous aurait jamais permis de survivre en tant qu’espèce. Notre sens moral guide l’utilisation que nous avons de notre intelligence. Si manger un animal n’est pas une question de survie, si nous ne sommes pas obligés de le faire pour une raison quelconque, alors qu’est-ce qui nous empêche de faire autrement ?

Ne pas utiliser les animaux pour notre propre confort. Pas parce que nous leur prêtons une conscience ou une intelligence égale à la nôtre, mais simplement parce que nous en avons la possibilité. Nous sommes conscients de notre intelligence, et de notre capacité d’auto-determinisme, c’est-à-dire que nous faisons nos propres choix. Le simple fait que nous parvenions à nous demander si la consommation de produits d’origine animale est une bonne chose suffit à prouver que des alternatives méritent d’être étudiées.

Il y a fort à parier que dans quelques générations, nos descendants chercheront à défendre l’émancipation des sapins et des coquelicots. Je suis persuadé qu’ils auront des raisons qui aujourd’hui paraissent inimaginables à la plupart d’entre nous. L’ironie, dans tout ça, c’est que ces raisons existent déjà.

Copains comme cochons

Il est important de comprendre que l’auto-déterminisme est une raison suffisante pour essayer de changer nos habitudes. La question n’est pas de vouer un culte aux chèvres ou de culpabiliser Billy et son bol de céréales. Le végextrêmisme est un comportement maladroit qui consiste à aller engueuler son voisin parce qu’il a mangé un pauvre steak dans l’année. On ne change pas des comportements millénaires de cette manière, ou en tout cas pas uniquement de cette manière.

Commençons déjà par limiter notre consommation de viande. Ceux qui en mangent tous les jours peuvent déjà essayer de ne plus en manger le jeudi. Ne voyons pas la culpabilité dans celui qui mange un steak-frites tous les dimanches, mais voyons plutôt un espoir dans celui qui, une fois par an, décidera d’acheter des carottes plutôt qu’une entrecôte. Qui que nous soyons, nous ne sommes pas responsables de l’apparition de ce mode de production et de consommation animale, mais nous pouvons être responsables de son évolution, par des actions collectives.

Nous pouvons briser ce cycle Production > Consommation > Enrichissement, qui ne fait qu’entretenir la cruauté que notre espèce est capable d’avoir vis à vis des autres. Préférer vérifier la provenance de cette viande, assurer qu’elle vient d’un circuit où l’animal a une vie avant la mort plutôt que de l’un de ces abattoirs de masse où la vie animale ne se résume qu’à l’engraissement et à la torture.

Bien sûr, tout ça ne répond en rien à la question de fond, parce que des animaux continuent d’être abattus pour nous faire manger. Mais ces évolutions lentes et à notre portée ont au moins le mérite de nous rapprocher d’un idéal, et de nous faire participer chacun à notre niveau à un changement progressif des habitudes de consommation, et donc de changer durablement la société. Peut-être que l’homme abattra encore des vaches dans 10 000 ans, mais nous aurons au moins le sentiment d’avoir œuvré pour l’intelligence commune, celle qui remet en question la domination des forts sur les faibles, de l’argent sur les consommateurs, et de l’animal humain sur les autres animaux.


Twitter: @andros_oria

×

Chacun a sa pierre à apporter au mur de la connaissance. Bâtir sa connaissance, c’est fonder son savoir. Mais il n’est de fondations solides sans la confrontation d’idées et sans doutes. Si je doute, je pense, et si je pense, je suis… Chacun a son jardin secret de savoirs accumulés sur différents sujets. Mais plutôt que de se cultiver chacun de son côté, ne serait-il pas judicieux de partager notre jardin et tous ensembles, créer un panorama de nos vies d’internautes ? C’est le but de ce site, regroupant diverses documentations, analyses, découvertes.
Le thème ? Il n’y en a pas. Nous sommes libres en thèmes.

 

Un lien Twitter vous est proposé si vous souhaitez être informé au jour le jour.

 

A vous de cultiver votre jardin !