Avertissement : cet édito a été réalisé à chaud. Les phrases qui suivent ne sont donc pas des faits et ne sont pas basées sur des chiffres, mais représentent plutôt une réflexion faite sur ce que semble dire l’élection Américaine du 09 novembre 2016. En cela, voyez cet édito comme une piste de réflexion, et ne prenez rien pour vérité absolue ou acquise.
We got Trumped !
Au lendemain d’une élection qui a retourné les tables et fait s’envoler les prédictions des meilleurs voyants-marabous télévisuels, un sentiment se répand et nous donne cette sensation étrange que le monde est au bord de la falaise.
Trump est dangereux. Trump est fou. Trump est imprévisible. Trump est raciste. Trump est sexiste. Oui mais voilà, Trump est maintenant président.
Trois visages de l’Amérique
Cette élection nous a offert de nombreux témoignages. Pro-Hillary contre Pro-Trump, les discours que nous ont offerts les électeurs de tous bords sont particulièrement importants pour comprendre pourquoi nous avons tous été Trumpés. A titre personnel, j’ai pu y voir trois profils, trois visions de l’Amérique, trois électeurs typiques qui ont fait cette élection.
Il va sans dire que la réalité est, comme toujours, plus diverse et complexe, et que l’Amérique aux trois visages que je décris ci-après est en fait une pâle généralisation faite à partir d’un échantillonnage arbitraire de la population. Néanmoins, si vous confrontez ma vision des choses à la vôtre, je suis convaincu que vous y trouverez un écho qui reflètera au moins en partie cette élection, telle que vous l’avez vécue.
D’un côté, il y a l’Amérique des grandes villes, ultra-majoritairement opposée à Trump. Dans ces grandes villes, il y a l’élite, pour lesquels la politique menée depuis des années par l’Establishment semble à la fois naturelle et avantageuse, mais il y a aussi les autres. Car toujours dans ces grandes villes, on observe également des jeunes, des étudiants, des personnes ayant eu une éducation globalement plus importante qu’à d’autres endroits du pays. Des personnes qui échangent, qui voyagent, qui voient plus loin.
Ceux-là donnent généralement à Hillary le crédit d’être une femme, et en cela de représenter une avancée nécessaire dans la politique Américaine et mondiale, comme a pu l’être Obama en son temps. On observe toutefois que rarement ceux-là soutiennent Hillary pour son projet ou sa capacité à diriger, mais bien plus pour la symbolique qu’elle représente, et le rejet de Trump dont elle est l’alternative.
De l’autre, une Amérique dont le discours nous semble, vu de loin, totalement incohérent. Ce sont des gens qui soutiennent ouvertement et totalement Trump, et le rejoignent dans une sorte de folie protectionniste : les emplois doivent revenir, un grand mur doit être construit, l’état islamique doit être détruit. Quand on essaye un peu de comprendre pourquoi tant de gens s’obstinent à soutenir ces propositions – si tant est que l’on puisse appeler ça des propositions – on observe alors que la première cause de leur soutien à Trump, ce n’est pas Trump lui-même.Je vote pour Trump parce que les médias… Je vote pour Trump parce que Hillary… Trump semble représenter une sorte de roue de secours qui apparait comme le messie tant attendu face à l’Establishment, face aux médias, et même, comble de l’ironie, face au capitalisme fou. Jamais ces gens-là ne votent Trump à cause de Trump.
Eux aussi, d’une certaine manière, voient Trump comme un symbole : celui du renouveau, celui de l’affranchissement des politiciens qui gouvernent depuis tant d’années, celui de l’espoir de changer les choses. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si de nombreux électeurs de Trump proviennent d’un électorat de Bernie Sanders – sorte de Mélenchon local – qui ont préféré se rapprocher d’un autre candidat du changement plutôt que de rallier la candidate de la continuité. Ce sont d’ailleurs certainement eux qui ont fait basculer l’élection, et dont le nombre et le mécontentement avaient été sous-estimés.
Enfin, une Amérique plus profonde, qui se sent méprisée et abandonnée, aux antipodes de ces grandes villes et de ces considérations symboliques. Eux voient la réalité au travers des médias, ils entendent à longueur de journée que l’Establishment ne leur apporte rien, ils voient des faits divers grossis à la loupe, une réalité déformée et altérée par les médias. Partant de leur vision monochromatique du monde, ils cherchent en toute simplicité un candidat qui pourra leur apporter quelque chose.
Ces terres désolées portent le syndrome du grand frère : ils sont une partie de la population qui existe depuis longtemps, qui est installée dans des régions entières de l’Amérique, mais dont plus personne ne parle et que plus personne ne voit, préférant parler du petit frère l’étranger, le migrant, le Mexicain ou de quelqu’un d’autre encore. Le grand frère se sent abandonné, souffre d’un manque d’attention flagrant, et rejette la faute sur le petit frère qui accapare l’attention des élites et des dirigeants. La xénophobie monte, le racisme monte, l’homophobie monte, le repli sur soi monte, le nombrilisme monte. Beaucoup d’entre eux ne sont sans doute pas xénophobes par nature, mais le deviennent en réponse à ce que les médias racontent de l’impuissance d’une classe politique qui ne parvient ni à les écouter, ni à les aider, mais se plait à guerroyer à l’autre bout du monde.
Une fable à la française
Les comparaisons vont bon train entre USA et France tant elles sont simples et caricaturales, mais si les personnes, les idées et la situation du pays sont bien différentes aux USA de ce qu’elles sont en France, de nombreux parallèles peuvent être trouvés, et un casting peut même être monté.
Donald Trump : Marine Le Pen
Hillary Clinton : François Hollande
Bernie Sanders : Jean-Luc Mélenchon
Ces trois-là offrent des perspectives si différentes, qu’ils suffisent presque à représenter la diversité de l’échiquier politique.
A droite, autour de nombreux candidats à la primaire Républicaine, Donald Trump était le ridiculisé. Homme de télé extravagant et narcissique, qui aurait pu prendre un instant au sérieux la perspective qu’il monte un jour sur le trône ? Trump et les Républicains font clairement écho à la droite Française, où Marine Le Pen offre une candidature forte, marquée et souvent dénigrée par les Sarkozy, Juppé et autres Fillon qui vendraient leur mère à bon prix pour revenir au pouvoir et faire barrage à la dangereuse Marine.
Il est fort probable, en cela, que Marine Le Pen et Trump aient au moins une part de destin commun, et qu’en l’absence d’électeurs de gauche, le candidat de la droite républicaine Française ait à s’incliner devant elle. Pourquoi ? Car elle représente au sein de ce courant politique la seule perspective de changement, la seule perspective d’affranchissement et, dans les consciences politiques, une lumière vers la liberté. Aux USA, la présence de Trump comme candidat des républicains aux élections présidentielles a changé la donne, à tel point qu’on en a oublié qui d’autre aurait pu prendre sa place. La droite, c’est Trump. La droite, c’est Le Pen. Point.
A gauche s’opposaient deux visions différentes de l’avenir : la candidature de Clinton, représentant une continuité politique voire un retour en arrière, et la candidature de Sanders, représentant à la fois une perspective de justice sociale, d’écologie et de changement durable, mais également le risque énorme qu’impliquerait la nécessité de faire un pas en dehors du capitalisme fou. En France, c’est la même : Hollande et la gauche qui n’a de socialiste que le nom et qui, de façon unanime, ne représente ni l’espoir ni l’avenir. Mélenchon et les écolos qui, malgré leurs propositions et leur projet plus humaniste que capitaliste, sont séparés du politicien traditionnel par un fossé qu’ils ont eux-mêmes creusé et qui les décrédibilise.
Aux USA, Sanders a été battu par Clinton aux primaires de la gauche, laissant du même coup champ libre à tous ces électeurs qui, souhaitant davantage un changement qu’un pouvoir de gauche molle et capitaliste, ont préféré donner leur voix à Trump plutôt qu’à leur candidate désignée.
En France, Mélenchon ne participe à aucune primaire de la gauche, mais la situation n’en est pas pour autant très différente. Hollande est détesté, tout comme de nombreux candidats de gauche et de droite. Il est possible que le clivage droite/gauche habituel laisse place au clivage changement/continuité : dans cette optique, un duel Hollande/Le Pen se traduirait par une victoire probable de Le Pen.
J’ai peur, cela me rassure
Autre point commun à nos deux pays : le paradoxe de l’extrême. Ce paradoxe est simple : le changement qui devrait rassurer fait peur, et celui qui devrait faire peur rassure. Comme Trump aux USA, Le Pen mise sur la vraie vie des vrais gens, elle pointe du doigt les malheurs des gens et tape sans retenue sur ceux qui en sont d’après elle responsables (ce fameux Establishment). Représente-t-elle une véritable alternative pour autant ?
Le courant populiste de droite, au travers de Trump et de Le Pen, se nourrit des peurs et du quotidien des gens. Il montre, il dénonce, il tape, il crie, il scande. Que propose-t-il ? Peu importe, car les gens sont déjà suffisamment rassurés de voir que quelqu’un, enfin, entend leur voix et peut les représenter. Que pourrait-il se passer de mal ? Pire, les solutions proposées par Le Pen ou Trump sont, d’après eux, nécessaires pour mettre un terme au malheur, aux conflits et à retrouver le bonheur perdu. Le populisme de droite, c’est faire adhérer d’abord, proposer ensuite.
Qu’en est-il du populisme de gauche, dans tout ça ? Comme Sanders aux USA, Mélenchon propose des solutions, un projet, sa candidature ne remporte l’adhésion que d’une faible partie de l’électorat. Mélenchon le dit lui-même : il doit convaincre, convaincre chaque électeur un par un, au travers de réponses concrètes, d’un débat de fond et d’un projet respectueux, juste et équitable. Ainsi, voter pour Mélenchon, c’est devoir réfléchir, et inconsciemment, l’électeur a horreur de réfléchir. Pourquoi ? Nous avons tous un raisonnement, un ensemble de raisons qui, connectées les unes aux autres, forment un avis et un jugement sur l’ensemble des projets qui nous sont proposés. Mais ces raisons, cet avis et ce jugement, sont teintés d’appréhension.
Quand nous nous demandons si nous devrions voter pour Mélenchon, nous réfléchissons à son projet, à tous les changements qu’il prône et promet. Nous devons faire un effort pour comprendre, analyser, comparer ce projet à notre réalité comme à la réalité des autres. Beaucoup s’arrêtent en chemin, car beaucoup ne peuvent plus suivre, jugeant que s’il faut faire un effort important pour comprendre un projet, alors ce projet n’est sans doute pas la solution. Cela parait idiot, dit comme ça, mais regardez l’effervescence autour de candidats, la répartition des rôles est toujours la même : le candidat promet et l’électeur élit. Le rôle de l’électeur n’est pas de réfléchir mais d’agiter des drapeaux, de se maquiller le visage et de chanter des slogans. Si l’électeur doit remettre en question le projet du candidat, il trouvera un autre candidat. Bien sûr c’est une généralité très caricaturale, mais remarquez à quel point le débat public est plat et sans relief, vous verrez que beaucoup considèrent la politique pour ce qu’elle est aujourd’hui : on choisit qui dirige, et non pas comment il dirige.
Revenons à Mélenchon, car quand bien même certains continuent à le suivre pour son projet et ce qu’il propose, ils sont confrontés à la réalité de la démocratie: Mélenchon serait-il un bon président ? Ferait-il vraiment tout ce qu’il promet ? Ma vie changerait-elle vraiment avec ce projet ? Qu’ai-je à y gagner ? La liste pourrait continuer ainsi, plaçant autant de barrières entre notre raisonnement et notre adhésion à un projet de gauche forte. Le populisme de gauche, c’est proposer d’abord, faire adhérer ensuite.
Persuasion de masse et convictions solitaires
Une dernière chose à ce sujet : vous remarquerez que pour Le Pen/Trump comme pour Mélenchon/Sanders, j’emploie le terme de « faire adhérer ». La différence entre ce courant de droite et ce courant de gauche se résume très facilement : Le Pen et Trump persuadent leur électorat, Mélenchon et Sanders convainquent leur électorat. La différence est fondamentale, car persuader implique une forme de séduction. En persuadant, on amène à croire, à vouloir ou à faire. Convaincre, en revanche, implique de faire admettre à l’autre un raisonnement et une façon de penser, en lui exposant les raisons sous-jacentes à ce raisonnement.
Convaincre n’est pas toujours plus compliqué que de persuader. Toutefois, quand on est un politicien carriériste, quand on dispose derrière soi d’une armée d’auteurs et de collaborateurs, quand on sait manier les médias et travailler son image, alors persuader devient nettement plus simple que convaincre. Suscitez l’adhésion avant de faire vos propositions, la vente forcée a encore de beaux jours devant elle.
On peut dire aujourd’hui que l’Amérique a été persuadée par Trump comme la France par Le Pen, par ce qu’ils représentent, parce qu’ils sont différents. A l’inverse, des politiciens du passé comme Clinton ou Hollande sont rejetés par les électeurs. Ils persistent dans ce que leur métier leur a appris : persuader. Ils ne comprennent pas qu’aujourd’hui, d’autres savent le faire bien mieux qu’eux. A côté, les projets des uns et des autres, parmi lesquels ceux de Sanders et Mélenchon, font pâle figure et sont à peine audibles dans le brouhaha médiatique généré à la fois par la classe politique traditionnelle et par les séducteurs populistes de droite.
Born in the USA
Alors que faire face à ce triste constat d’une classe politique carriériste qui n’a plus rien à proposer, de vendeurs de courants d’air qui persuadent toujours plus de gens d’accepter l’inacceptable, et de projets politiques qui naviguent entre lecture complexe, adhésion difficile et incertitudes persistantes ?
D’abord, restons intègres. Ne perdons pas ces valeurs que la majorité d’entre nous partagent sans l’ombre d’une hésitation : la liberté, l’égalité, la justice ou n’importe quelle autre valeur qui vous est chère. Nos valeurs et notre intégrité représentent un mur solide face à toute forme de persuasion, et particulièrement du populisme séducteur qui tente de nous persuader avant même de nous exposer son projet.
Ensuite, prenons du recul. Il est important de ne pas considérer une information comme acquise, mais de la confronter, de la comparer, de la reformuler et de l’analyser. La parole du politicien, la parole du journaliste du 20h, la parole de votre mère et la parole de votre boulanger sont autant de paroles qui n’ont rien d’absolu, qui servent des intérêts variés et déforment l’information avant de vous la fournir. A nous de rester vigilants, de remettre en cause. Prendre parti pour ou contre, c’est déjà une forme précoce d’aliénation qui nous empêche de voir le monde tel qu’il est vraiment et nous enferme dans une bulle de convictions, nous entoure de certitudes.
Troisième point, relativisons. Il est crucial d’admettre que le monde n’est pas manichéen et que nous devons toujours confronter les généralités que tout le monde nous sert – moi y compris dans cet édito – à notre réalité, à notre expérience, mais également à notre manque d’expérience et de connaissances. Je ne connais pas mon voisin de palier, comment puis-je parler de populations entières en en faisant une généralité uniforme, plate et prête à l’emploi ?
Quand nous parlons de migrants, de terroristes, de handicapés, de pauvres, de journalistes, de politiciens, de femmes, d’étudiants, de retraités, d’Américains, de Français ou de toute autre catégorie d’humains, nous parlons avant tout de gens, de vrais gens qui pensent, qui évoluent et qui, au sein même de la catégorie dans laquelle nous les enfermons, sont teintés de diversité. Relativiser, c’est mieux comprendre ce qui nous entoure, et c’est déjà faire un pas vers la construction d’une pensée plus juste.
Enfin, éduquons. Parce qu’il semble évident que les rouages politiques et médiatiques ont pris une telle importance qu’ils déforment au quotidien la vision du monde de millions de personnes. Nous pouvons nous sentir mieux en restant intègres, en prenant du recul et en relativisant. Mais nous ne pourrons réellement aller mieux qu’en étendant cette dynamique de réflexion et de recherche d’une sagesse politique à un maximum de gens. Ce n’est que dans la diversité que peuvent naître des idées qui nous permettront de faire des choix pertinents et éclairés. Qu’il s’agisse de construire un mur géant au Mexique, de sortir du nucléaire ou d’instaurer un revenu de base universel, il est indispensable de nourrir notre mode de pensée avec toutes les idées qui nous parviennent, quelle que soit leur provenance et leur nature. De cette confrontation résulte une version améliorée de notre mode de pensée, qui génère de nouvelles idées dont les autres pourront se nourrir.
La démocratie est pleine de défauts, mais son idéal tient dans la participation de l’ensemble de la population à la construction de son propre avenir. Cette forme de démocratie ne se résume pas à des élections où tonton Jean-Louis va enfiler un caleçon, voter à l’école communale et revenir regarder les breaking news de BFM une bière à la main. Elle nécessite que des gens du monde entier partagent leurs expériences, leurs réalités, pour que notre vision soit plus juste et nos choix plus éclairés. Les réseaux sociaux, dans ce qu’ils ont de meilleur et de pire, jouent un rôle majeur de ce rôle que chaque individu peut avoir dans le débat public.
Bien sûr, il y a une forme de crainte qui naît des pouvoirs que le monde confie à des gens comme Trump ou Le Pen. Bien sûr, il y a une telle diversité entre les individus de la Terre que nos utopies démocratiques se heurtent parfois à l’incompréhension quand nous voyons des guerres et de la haine se propager. Cela ne doit pas nous empêcher de nous retrouver dans ce que nous partageons avec celles et ceux qui, partout sur Terre, cherchent simplement à rendre le monde meilleur.
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